La ferme des Iles : du champs au fournil, à la découverte des paysans boulangers

 Chacune des deux classes de BTS Agronomie Productions Végétales 1ère année (APV1) aura eu sa visite de système Bio, chacune aussi enrichissante l’une que l’autre et avec leurs particularités. Cette visite était organisée dans le cadre d’une activité pluridisciplinaire sur l’approche filière  blé, associant Philippe Mars (éco filière) et Nicole Marquet (agro-phyto). Le système support de la visite des BTS APV1 du lycée était celui de paysans boulangers installés près de Falaise, aux Isles Bardel (Suisse Normande), au GAEC de la Courbe. Josselin et Felix Peschet y sont d’ailleurs aidés par un ancien élève du robillard, Etienne Lavolé, salarié qui a trouvé sa place dans le système AB. Là aussi, le système polyculture élevage tourne bien en “contrôlant”  toute la filière du blé au pain, mais au prix d’un emploi du temps bien chargé.
Voici, ci-dessous, un article rédigé par Gladys et Augustin (BTS APV1 lycée Le Robillard) relatant la visite :

Située à l’extrême Sud du Calvados au bord de l’Orne, cette ferme familiale en agriculture biologique depuis 2018 produit du pain directement grâce à sa production de céréales. En passant du champ de blé au pain aux noisettes, qui sont ces hommes qu’on appelle des “paysans boulangers” ?

Tout d’abord, toutes les entreprises ont une histoire alors, pour avoir un aperçu le plus juste
possible, voici quelques éléments de l’historique. La ferme des Iles est une ferme familiale qui a été reprise par le fils Felix Péché en 2013 après que le père ait travaillé dans la production laitière. Le deuxième frère, Josselin, est arrivé en 2016 et c’est lui qui a transformé la production conventionnelle en production au logo “AB”. Si à l’origine le travail était exclusivement la production de lait, cela plongeait la ferme dans des difficultés économiques et il était impossible de dégager une marge suffisante pour deux salaires. Alors les deux frères se sont diversifiés. Plusieurs possibilités s’offraient à eux : le développement de l’atelier lait, la création d’une activité de boucherie ou la transformation du blé. L’installation des bâtiments de transformation du lait coûtait trop chère mais un développement de la production était réalisable, la boucherie ne plaisait pas du tout à Josselin et le blé…cela lui plaisait ! L’aventure de la meunerie était lancée (tout en gardant les vaches laitières). Josselin a fait à l’origine un baccalauréat STAV puis un BTSA Productions Animales, autrement dit, rien à voir avec le pain. Alors il a entrepris un stage en boulangerie et une formation de CAP boulanger en formation pour adulte. Après avoir travaillé un certain temps dans un petit laboratoire pour travailler la pâte et faire cuire le pain, la ferme a investi dans un labo de 20m2 toujours d’actualité.

Aujourd’hui, cela fait 3 ans et demi que l’activité boulangère est sur pied et Félix vient de terminer son apprentissage dans la fabrication des divers pain : nature, raisins, noisettes, graines, baguettes et même du pain d’épices en cette période de Noël (sans oublier les brioches). La ferme a le statut de GAEC et un salarié a été embauché à temps plein en 2019 pour soulager le travail des deux patrons associés (1 UTH) . Elle possède 100 ha de SAU (surface agricole utile) en structure bocagère, 75 vaches laitières de race Prim’Holstein, Montbéliarde et Normande avec un droit à produire de 600 000 litres (360 à 380 000 de production réelle par an) et un moulin. Le prix de vente du lait s’élève à en moyenne 525 euros pour 1000 litres. Au champ, on trouve essentiellement du blé de semences population récupérées chez des voisins, semé dense (180kg/ha) pour pallier au fait que ce soit en BIO et que le sol soit séchant. Les variétés sont choisies pour leur rendement et leur valeur boulangère (rubica, saturna, paninicus ). Le gérant s’est rendu compte qu’en associant le blé avec du pois, le premier avec un meilleur rendement alors il sème aussi 10kg de pois par hectare. Le pois est valorisé directement par les vaches ou en allant au méteil. Le rendement moyen du blé sur l’exploitation est très hétérogène, il se situe entre 15 et 20 quintaux par hectare. Mais la culture ne s’arrête pas là ! Par exemple, cette année est la deuxième où un essai lentille est fait (lentille verte du Puis). La production est destinée à la consommation directe des particuliers. Aussi la rotation fonctionne ainsi: suite a cinq années de prairie et un peu de seigle (à ensiler pour le méteil), sur 10 ha cultivé l’agriculteur cultivera une année du maïs et une année du blé ou du seigle (meilleur rendements que le blé après un maïs). Le désherbage se fait à la herse étrille 2 à 3 fois et le sol est travaillé en labour et déchaumage. L’entreprise fait d’ailleurs partie d’une CUMA et a donc accès à un tracteur, des rouleaux, un andaineur double et un semoir à maïs en plus de son trieur à grains personnel, sa charrue et sa herse étrille de 9 mètres avec semoir. La fertilisation se fait via l’épandage des effluents de 25 à 30 tonnes par hectare.

Mais une fois le travail au champs terminé, que devient la production ? C’est tout l’objet des lignes qui suivent. En premier lieu, les grains sont triés deux fois grâce au trieur rustique mais efficace, avant d’être stockés dans les deux silos de 25 tonnes chacun ( ils ne sont jamais remplis au maximum). Il faut savoir que chez Josselin et Félix, toute la production de blé est transformée. Le moulin est en marche 20h/24, c’est-à-dire à la plus haute intensité et c’est la grille (sorte de filtre) qu’il faut changer en fonction du type de farine souhaitée. Car oui il existe diverses sortes de farines et la ferme des Iles produit de la T65 (pour les brioches), de la T80 et de la T110 qui est composée des résidus fins du filtre T80 (pour les pains les plus gros). 1 kg de grain satisfait 1 kg de farine qui satisfait 1 kg de pain. Ainsi, cette fabrication artisanale permet une quantité de 300 à 350 kg de farine chaque semaine. Avec cette production, Josselin n’arrive pas à tout valoriser en pain. Alors il vend directement des sachets de farine de 1 kg, 5 kg ou 25 kg . Car en effet, sa production de pain est déjà au maximum : 250 kg environ par semaine dont 150 kg les samedis, mais cela est très variable (de 13 à 20 t/an). Après avoir moulu les grains, il faut se pencher sur la fabrication à proprement parler du pain. Josselin prépare la pâte 24h avant la cuisson et la conservation reste bonne jusqu’à 48h en chambre froide à 8°C. Il privilégie le levain plutôt que la levure parce que sa fermentation alcoolique permet une meilleure conservation des pains. Pour la cuisson, la ferme possède trois fours en métal, à combustion indirecte (utilisation plus facile qu’à combustion directe car il n’est pas nécessaire d’enlever le bois), installés dans le “labo” en dessous d’une sorte de hotte géante. Ces fours montent à 230-250°C en 45 min et le bois est facilement accessible car une trappe a été construite à l’intérieur du labo pour faire tomber les bûches rapidement. Une idée ingénieuse pour un gain de temps précieux ! Aussi, les 20 km de haies situées en délimitation des parcelles participent au besoin non négligeable de bois soit 15 à 20 stères par an.

Enfin, Josselin nous a expliqué comment et à qui ils vendaient leurs matières brutes et produits élaborés. Aussi, la ferme est vivante alors des difficultés sont surmontées, des
projets naissent et des vies en dépendent. En effet, les deux frères ont fait le choix de se lancer dans la meunerie et la boulangerie et aujourd’hui, au lieu de vendre leur production de blé bio brut à 500 euros la tonne, ils vendent 5000 euros la tonne de pain bio. Ils arrivent à dégager des salaires et à donner un avenir à la ferme. On peut retrouver La ferme des Iles ou ses produits au Biocoop et à l’AMAP de Falaise (le mardi), au marché de Condé le jeudi, au marché de Falaise le samedi matin. Il n’y a pas de vente directe dans les locaux parce que ce ne serait pas rentable au regard du temps dépensé. Les prix de vente se situent globalement dans la moyenne haute soit 5,5 euros le kilo mais quoi que l’on puisse en dire, le pain que nous avons dégusté était délicieux. Pour réaliser tout ce travail, du semis à la vente de pain d’épices, il faut beaucoup d’organisation et de temps. Depuis l’arrivée du salarié Etienne, les deux patrons ont beaucoup plus de possibilités de travail et cela n’aurait jamais été possible sans l’investissement dans l’activité boulangère. Désormais, ils ont établi une rotation dans la distribution et le marché du samedi matin, chacun le fait une fois sur trois, cela enlève beaucoup de fatigue et permet de diversifier les tâches. Etienne s’occupe exclusivement des cultures bio, Félix est à l’atelier lait et vient de passer novice dans la fabrication du pain et enfin, Josselin passe la moitié de son temps de travail à la ferme et le reste, près des fours. Aucun travail n’est délégué à une ETA (entreprise de travaux agricoles). Au vu de la situation, il est permis de s’enjouer concernant l’avenir. Alors les idées de projets vont bon train : isoler le moulin qui en période de grand froid est inutilisable à cause du gel, faire construire un four en pierre à 50 000 euros de 10m2 qui permettrait de réduire la fournée du samedi matin de 7h à 3h (et de retrouver les goût si spécifique du pain cuit à l’ancienne diront certains), avoir plus de matériel pour l’ensilage et enfin…travailler moins. Parce que, comme tout métier de patron, on ne “compte pas ses heures” mais que la fatigue est un ennemi puissant du travail. Malgré quelques difficultés, comme les mauvaises années de plus en plus fréquentes, les maladies imprévues (carie du blé en 2019 qui a détruit la récolte), l’invasion des papillons de farine en été et les rats qui se cachent régulièrement pour fuir le passage du dératiseur auquel ils sont abonnés, la ferme et les gens qui y vivent vont bien. Nous avons été enchantés de rencontrer ces gens passionnés et heureux de faire découvrir leur mode de travail ou plutôt de vie.

Découvrez notre BTSA Agronomie Productions Végétales !
Par voie scolaire : https://www.le-robillard.fr/lycee/bts-agronomie-productions-vegetales/
En apprentissage : https://www.le-robillard.fr/cfa/btsa-agronomie-productions-vegetales/